"Les Nota Bene de Luc" #1 : L'étiquette

De récentes questions au sein du club et de mes rencontres avec d’autres disciplines me font réfléchir d’où ce premier « NOTA BENE de Luc ».

 

Le questionnement a débuté sur le pourquoi "si peu d'adhésion à l'Aïkido" et les commentaires de ces personnes qui préféraient s'essayer à d'autres disciplines car il y a trop d’étiquette et que cela ne plait pas ou plus. 

Il est clair que pour des occidentaux en 2015 les saluts, mokuso, seiza etc… ce n’est pas vraiment d’actualité.

Mais peut-être faut-il comme j’aime à le dire "retourner notre cerveau", c'est à dire essayer de voir le problème sous un autre angle.

 

Je ne suis pas un historien, ni un ethnologue et certains me corrigeront certainement, mais il me semble que les orientaux ne sont pas des grands fan du contact physique (pour des raisons de positions sociales notamment et car lorsque l'on vie les uns sur les autres il est préférable de connaitre sa place pour éviter tout conflit). 

N’oublions pas également que le contact physique est un des principaux facteurs de transmission des maladies (une bonne poignée de main en période de gastro vous fera vite comprendre la problématique !).

 

Le salut des japonais n’est donc finalement que notre poignée de main, le niveau d’inclinaison indiquant le respect que l’on doit à l’autre. 

Pour nous ce sera la simple poignée de main, la main sur l’épaule + la poignée de main, l’accolade, la bise, autant de gradation que nous appliquons au quotidien sans même que cela ne nous choque.

Mais bien évidemment le code d’un autre pays, étant nouveau, doit être appris et cela devient donc quelque chose de complexe.

 

"Retourner votre cerveau" et vous voilà en train de simplement dire « bonjour » ou « merci de travailler avec moi » pour réaliser un exercice martial potentiellement dangereux en espérant qu’aucun des 2 ne sera blessé (n'hésitez pas à consulter le livre "étiquette et transmission" de maître Nobuyoshi TAMURA qui explique en détail chaque élément de l'étiquette).

 

Une anecdote très récente pour illustrer mon propos :

Une connaissance plus qu’un ami, à qui normalement je donne la poignée de main, se met sans réfléchir à me faire la bise et loin de m’en offusquer (ce n’était pas ma première rencontre avec des gens du sud!) me voilà lui faisant la bise, celui-ci se rend compte du côté un peu invasif de son action et s’excuse en m’indiquant qu’à Marseille c’est comme ça !

Belle démonstration d’un salut culturellement différent et pourtant au sein du même pays. Vous comprendrez qu'à 10 000 km de chez nous dans un pays à l'histoire si différente le décalage est là...

 

Bref, pour revenir à notre sujet n'est ce pas l'image que l'on donne à notre art martial qui rebute les gens, ne faut il pas simplement leur expliquer/montrer et s'en tenir à "l'essence"tiel!

 

On en est arrivé aujourd’hui à saluer à tout va! 

Un cours ou un stage finit et nous voilà en train de faire le tour de tous les partenaires avec qui nous avons pratiqué pour les remercier à nouveau ! comme si après avoir quitté un ami celui si vous courrait après pour vous serrer une fois de plus la main. Cela n'a pas de sens!

Où est la simplicité, l’efficacité, la justesse des arts martiaux...Le strict minimum pour atteindre la perfection! 

 

Un mot sur SEIZA (s'asseoir correctement) qui là encore n'est qu'une simple façon de s'asseoir pour les japonais, fort pratique pour nos dojo qui ne prévoit pas de chaise sur le tatami, et surtout martialement intéressante puisqu'il permet une mobilité immédiate (rappelons que la chaise bien qu'utile est souvent associée à des maux de dos car comme tout outil il faut apprendre à s'en servir!).

 

Je terminerai avec MOKUSO (qui va de "se concentrer" à "méditer").

Oui c'est vrai lorsque l'on fait des sports de combats ou des arts corporels on ne prend pas quelques secondes pour se concentrer...Hein!!!Quoi!!!Foutaises!!!, qui n'a jamais vu les athlètes ou les danseurs se concentrer avant de se mettre en action.

Le droit de se concentrer est donc réservé seulement aux élites!

 

Bien sûr que non! Et là encore il s'agit juste de montrer et d'expliquer aux gens qui se sont déplacés pour voir ce que nous faisions que tout cela est tout à fait naturel...

 

En conclusion, je ne prétends pas avoir de réponses loin s'en faut, je souhaite juste que ces "NOTA BENE" portent des éléments de réflexion qui évolueront pour vous comme pour moi avec la pratique et le temps.

A très bientôt

AL


"Les Nota Bene de Luc" #2 : La pédagogie

Ce #2* s'inscrit dans la continuité du précédent et vise à réfléchir sur la pédagogie de l’Aïkido en 2015.

 

Pourquoi cette réflexion? 

Là encore des questions et des rencontres faisant ressortir la difficulté à appréhender les principes ou exercices présentés par l'enseignant ("on comprend intellectuellement mais on ne sent pas!").

 

Que veulent les élèves d'aujourd'hui: apprendre vite pour être en correspondance avec notre monde.

Je suis moi-même dans ce cas et abonné à quelques chaînes youtube de vulgarisation scientifique ou philosophique qui m'initient en quelques minutes à des concepts parfois poussés que je n'aurais probablement jamais abordé, ou à coup de gros efforts (que j'aurais préféré investir ailleurs!).

 

Et je me satisfais de ça ou presque! 

Travers de notre société ou approche nouvelle ?

 

Il s'agit bien ici d'une problématique très large qui me questionne régulièrement en tant qu'enseignant mais aussi en voyant qu’après plusieurs millénaires d'existence nous en sommes encore à modifier nos méthodes d'apprentissages même pour les choses les plus "basiques" (il n'y a qu'à regarder pour l'écriture et la lecture les débats à chaque rentrée entre méthode syllabique ou globale ou que sais-je encore). 

 

Bref, nous pratiquons une discipline japonaise ouverte au monde dans les années 40 et qui culturellement cache tout : on respecte une étiquette (cf. #1), on parle peu (enfin on essaie!), le rôle des partenaires (Aite ; Shite ou Uke ; Tori) est pré-définit (cette "mise en scène" perturbe certains et l'aspect efficace ou réel semble inexistant : cf. #3),  on respire en silence le plus subtilement possible, les gestes sont épurés et on cherche a le rendre encore plus pur et plus léger au travers de kata que sont les techniques, tout est caché comme toujours!), le but de ce travail étant notamment d'atteindre la paix et la santé**. 

 

Cette façon d'enseigner traditionnel n'est peut être plus adapté à l'époque et au public européen.

L’aïkido développe l’adaptation (malgré l'utilisation de l'outil que sont les kata), peut être faut il donc s’adapter et modifier notre façon de transmettre, les principes n'en seront pas plus altérer.

Avec le recul nous voyons que la manière traditionnelle utilisée par maître Ueshiba puis maître Tamura, a au final développé autant de style que de personnes (ce qui n'est pas un mal en sois!), preuve que la transmission est complexe.

 

Comparativement un art martial russe comme le Systema, plus occidentale, ouverte au monde dans les 15 dernières années, et qui explique tout (on parle, on respire bruyamment (au moins au début), les gestes s'adaptent à la situation, la notion de kata n'est pas présente, bien qu'il y ai un panel d’exercices pédagogiques extrêmement structurés). Les objectifs principaux d'autodéfense (survie) et de santé (par la gestion des situations stressantes) semble plus actuelle et plus en phase avec notre société**.

Elle rencontre un écho grandissant auprès des pratiquants qui sont directement plongés dans le sujet sans filtre apparent, sans code prédéfinit (quoi que ...), il s’agit d'un pied-poing l'efficacité est là! concrète!.

 

Cette analyse est superficielle certes, mais intéressante car pour ceux qui connaissent les 2 disciplines elles sont on ne peut plus proche : respiration, relâchement, adaptation, union, sont autant de mot qui trouvent échos dans les 2 disciplines.

D'un côté un pied-poing concret et direct, de l'autre des techniques martiales de projection et immobilisation épurées après des décennies de travail sur le tatami.

Un but en commun évident la santé (physique et mentale) pour mieux vivre !

 

Que choisir ou faut-il choisir?

Les 2 méthodes ont un intérêt et dans les 2 cas l'étude sera aussi profonde et durera une vie entière.

Il n'y a pas de secret seule la pratique à un sens sinon nous ne ferions pas des arts martiaux!

Ne nous fermons aucune porte, en tant qu'enseignant la transmission étant notre but, adaptons nous aux élèves, et acceptons de piocher dans les méthodes et les arts qui nous entourent! 

 

AL

 

*Ces NOTA BENE ne se veulent pas des opinions tranchées, je souhaite que l'échange et la réflexion cher à notre discipline perdure. Il se peut cependant que mon style d'écriture laisse entendre que je ferme le débat, c'est une erreur et je m'en excuse! 

 

**Les quelques points cités sont loin d'être exhaustifs et se veulent juste un pivot de discussion.  


"Les Nota Bene de Luc" #3 : Aïkido et Efficacité

 

Ce #3 est un peu particulier car je vous soumets un article que j'ai rédigé en 2005 et que je souhaitais retravailler.

Cependant en le relisant je me rends compte que je vais attendre encore quelques années car aujourd'hui je ne pourrai pas le compléter ou le modifier de manière suffisante pour lui donner plus de sens...

 

"Qui d’entre nous n’a pas croisé lors de sa pratique sur les tatami un pratiquant scandant la recherche d’efficacité dans ces techniques ?

Mais voilà qu’est ce que l’efficacité ? Où commence t-elle ? Dans quel but ?
Autant de questions qui après quelques années viennent encore frapper mon esprit. 
D’où cet article visant à éveiller les esprits en présentant mon point de vue sur l’efficacité dans l’aïkido.

L’efficacité est définit par Le Petit Larousse comme la « qualité de ce qui produit l’effet qu’on en attend ». On voit ici la difficulté d’émettre un sens clair au mot sans un contexte précis.
Si nous appliquons cette définition aux arts martiaux, il est admis par beaucoup qu’il s’agit de la capacité de maîtriser plus ou moins violemment un adversaire représentant une menace, afin de mettre fin à toutes autres attaques.

Alors l’aïkido est-il efficace ?
La réponse est oui, par essence l’aïkido l’est ! 

Les techniques utilisées, qui sont l’outil indispensable à la pratique, sont des techniques guerrières qui ont fait leurs preuves sur le champ de bataille (Morihei Ueshiba était un soldat et un guerrier ne l’oublions pas), 
Donc oui ! Je suis d’accord, nous devons rechercher l’efficacité dans les techniques.
Mais y a-t-il une seule forme et une seule recherche d’efficacité ? 
La question se pose ! 
Est-ce que en faisant chuter uke sans lui faire mal, juste en prenant son « centre », je suis moins efficace que celui qui place une technique au millimètre avec tel ou tel verrouillage articulaire.
Non, bien sûr !
Dans les 2 cas uke est par terre, donc je suis efficace !
J’entends déjà les arguments du type « Dans le cas du verrouillage uke est maîtrisé, ou son articulation est cassée, il ne se relèvera donc pas ! Alors que dans le 2éme cas il n’a pas mal, il peut donc se libérer, se relever... ».
Pour répondre, rappelons que le but de toutes ces techniques est de tuer. Donc lorsque l’on applique shiho nage par exemple, on plante la tête de l’adversaire dans le sol, que ce soit avec un verrouillage ou que se soit en « créant » le vide (ceux qui ont rencontré des gradés capables de créer le vide savent combien il est difficile de chuter dans ces conditions), au final l’adversaire a les cervicales brisées. On voit clairement que l’argument n’a plus de poids, et que peu importe la manière ! L’efficacité est définit comme la « qualité de ce qui produit l’effet qu’on en attend », le but est atteint, il s’est produit ce que l’on attendait.

Nous sommes donc maintenant à peu près tous d’accord quant à l’origine des techniques d’aïkido, et de ce que cela implique. 

Qu’en est-il de leur application sur nos tatami occidentaux?

Rappelons d’abord que les arts martiaux ont pour origine les bujutsu, arts de la guerre utilisés pendant plusieurs siècles afin de répondre aux différents conflits aussi bien intérieurs (shogunat), qu’extérieurs (colonisateurs...). Ces bujutsu (武 MU, BU : chose militaire, bravoure ; guerrier ; militaire ; martial / 術JUTSU : art, technique) étaient utilisés au combat afin de protéger les vies et idéologies des personnes de son clan. La recherche de l’efficacité est alors le but premier.
A partir des années 1600 une longue période de paix s’installe au japon, et les samuraï deviennent alors plus des administrateurs que des combattants. Pour subsister, les différentes écoles d’armes tendent à styliser leurs formes, le but n’étant plus l’efficacité martiale immédiate. Naissent alors les budo (武 MU, BU / 道 michi, TOO, DOO : chemin; voie, chemin pour aller vers…le but spirituel, discipline) qui remplacent progressivement les bujutsu. On introduit ici au sens guerrier une nouvelle notion qui est celle de la spiritualité. Il ne s’agit plus seulement de technique guerrière au but destructeur mais au contraire d’une discipline visant au développement de l’esprit, et par extension au développement de soi, à la construction de l’homme, et qui est aujourd’hui la base des arts martiaux modernes.
Bien que plus récent, l’aïkido a subit la même évolution et Ueshiba renomme son aïkijutsu en aïkido vers 1920.
Pourquoi ce changement ! Le fondateur malgré un travail acharné des jutsu trouvait qu’il lui manquait quelque chose, et y intégra une pensée profondément spirituelle, et même religieuse. 
Ne nous méprenons pas sur le sens de ces mots, car ils n’enlèvent rien à la profondeur du travail, et à une pratique intensive et martiale passant avant tout et surtout par le corps. Au contraire ils ajoutent encore plus, ils ajoutent un but philosophique à la pratique, ils ouvrent de nouvelles portes à ceux qui maîtrisent les techniques.

A partir de cette évolution comment rester martial sans dévier vers une pratique brutale, raide, destructrice, finissant par développer l’agressivité des pratiquants, et qui ne s’adapte plus au mode de vie actuel. Ou au contraire comment éviter les déviations vers une pratique vide de sens, où tous les pratiquants sont trop complaisants et où plus rien ne se met en place sous prétexte d’une recherche spirituelle, voire ésotérique, et que l’on qualifie parfois « d’aïkido de salon ». 
Comment au sein du dojo (道 michi, TOO, DOO : chemin; voie, chemin pour aller vers…le but spirituel, discipline / 場 ba, JOO, CHOO : lieu, endroit, emplacement), ce « lieux d’étude », au travers de situations combatives qui restent différentes d’un combat réel (aussi sincère que soit l’attaque de notre partenaire, son but n’est en aucun cas de nous blesser !), pouvons nous appréhender l’efficacité de nos techniques.
Je crois qu’il n’y a pas de bonne et de mauvaise façon de pratiquer l’aïkido, pour peu que l’on évite les déviations citées. Pour trouver l’efficacité il faut pouvoir jongler entre une pratique éducative où l’on cherche le sens profond et philosophique, un travail plus martial qui forge le corps et développe les sensations, et entre tous les types de pratiques (keïko) qui ont été mis à notre disposition par le fondateur. 
L’efficacité à l’aïkido est plus difficile à appréhender car elle n’est pas basée sur le fait de s’imposer à l’autre mais elle apparaît grâce au travail mutuel des deux pratiquants.

Plus encore, je pense que devenir un aïkidoka ou aïkishugyosha sous entend que l’on croit en l’aïkido et en ce qu’il contient. Par conséquent l’on a pas besoin de se prouver et de prouver aux autres son efficience, ou pire encore de se cacher derrière cette notion. Et certes, l’efficacité fait partie de notre recherche, et on peut travailler toute sa vie les techniques sous forme de kata millimétré, placer systématiquement les atemi, travailler souplement, ou que sais-je encore! Tout cela afin de trouver l’efficacité. 
Mais nous comprenons bien qu’il ne s’agit pas d’un but en soi, car l’efficacité appartient à l’aïkido, elle appartient à « la voie », mais elle n’est en aucun cas « la voie ».

Mes propos n’impliquent pas de notion d’année de pratique permettant de saisir des concepts que l’on pourrait qualifier d’ « élevés », ou de recherche différente de celle de la technique, ou encore de pratique « mieux » l’une que l’autre.
Je souhaite seulement que, lorsque l’on pratique l’aïkido, on comprenne sa diversité, la multitude de chemins possibles pour atteindre la voie. Comprendre également que l’efficacité doit être présente, sans pour autant en faire le seul élément de pratique, nous risquerions alors de passer à côté de la profondeur de l’enseignement du fondateur qui a fait de cet art guerrier un art plus élevé visant à construire l’homme.

Je ne crois pas que le débat soit clos et j’attends évidemment que les quelques arguments soumis à votre lecture relancent votre réflexion et vous permettent d’écrire à votre tour sur ce vaste sujet.

 

 

AL 2005"